Y a-t-il une méthode pour atteindre la vérité ?

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Si toute vérité est en fait construite, qu’on ne peut pas y accéder de manière immédiate, se pose alors la question de savoir comment on peut y accéder, c’est-à-dire quelle est la méthode à suivre pour être sûr de ne pas se tromper. Il s’agit ici de se poser la question d’un critère de la vérité : qu’est-ce qui nous permet de nous assurer que ce que nous énonçons est vrai ? Comment distinguer le vrai du faux ?

Définition

Méthode : ensemble de démarches que suit l’esprit pour découvrir et démontrer la vérité.

A) Plusieurs critères possibles

a) Constater

Le constat constitue un premier critère, d’ordre empirique. Constater, c’est établir un fait par le témoignage des sens. Pour constater qu’il fait beau, je regarde par ma fenêtre. Mais il n’est pas toujours facile de s’entendre sur un constat. De plus, beaucoup de vérités ne sont pas susceptibles d’être vérifiées empiriquement. Où en serait l’astronomie ou la psychologie, si on ne connaissait que ce qui est directement perceptible ? On ne peut donc pas réduire la gamme des vérités possibles à ce qui peut être perçu.

Définition

Empirique : qui provient de l’expérience des sens.

b) Démontrer

Faute d’avoir été témoin du fait, on peut le démontrer : la démonstration est donc un deuxième critère. Le modèle traditionnel est le syllogisme, dont la théorie est exposée dans l’ouvrage Organon d’Aristote (384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.) :

Définition

Démonstration : opération par laquelle une proposition est établie à partir d’une autre. La tradition logique donne à celle-là le nom de conclusion et à celle-ci le nom de prémisse. La démonstration repose donc sur l’inférence, qui renvoie à ce qu’un raisonnement a de valide dans le passage d’une idée à une autre.

Tout homme est mortel (tout x est y).

Socrate est un homme (or z est x).

Donc Socrate est mortel (donc z est y).

Ce qu’on peut dire tout d’abord, c’est qu’un raisonnement logiquement valide peut tout à fait être faux, si on considère sa conformité à la réalité. Cette distinction entre validité logique et vérité conforme au réel est énoncée ainsi par le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804), dans la Critique de la raison pure : « une connaissance peut fort bien être complètement conforme à la forme logique, c’est-à-dire ne pas se contredire elle-même, et cependant être en contradiction. »

Exemple

Imaginons le syllogisme suivant : tous les chats sont gris. Or Garfield est un chat. Donc Garfield est gris. Ce syllogisme est valide logiquement, mais faux en réalité, car Garfield est un chat roux.

De plus, même dans le cas d’une démonstration à la fois valide formellement et conforme à la réalité, se pose le problème de l’indémontrable ou de la régression à l’infini : comme le fait remarquer Aristote, il est impossible de tout démontrer, sous peine de tomber dans ce que l’on appelle une régression à l’infini. Ainsi, en remontant la chaîne des déductions, on doit nécessairement tomber sur une première proposition qui n’est déduite de rien, et qui est donc indémontrable, puisque pour la démontrer, il faudrait remonter de nouveau à une proposition précédente.

c) S’appuyer sur l’intuition

Ce problème de la régression à l’infini amène à poser l’existence d’une cause première, qui ne serait elle-même causée par rien : il s’agit de Dieu, qui est défini comme causa sui, cause de soi. Même si on n’admet pas l’explication divine, il faut nécessairement admettre des propositions premières, qui sont par définition indémontrables, et qui font donc l’objet d’une connaissance immédiate. La démonstration ne se suffit jamais à elle-même, puisque toute démonstration doit admettre au moins un élément indémontrable.

Cette connaissance immédiate des vérités premières est appelée l’intuition. Il n’y a pas lieu d’opposer intuition et démonstration, dans le sens où toute démonstration en appelle à une intuition première, une évidence qui n’a pas besoin de preuve. Ainsi, dans les Méditations Métaphysiques, René Descartes (1596-1650) explique que le premier critère de vérité est celui de l’évidence : est vrai ce dont je peux avoir une idée claire et distincte, sur le modèle de la vérité première qui est celle de savoir que j’existe, parce que je le pense. En effet, Descartes se pose la question de savoir s’il existe une vérité qui puisse résister au doute le plus radical. Dans la Deuxième Méditation, il démontre que le fait que j’existe est nécessairement vrai, à chaque fois que je le pense. De plus, je peux avoir une idée claire et distincte de ce que cela veut dire, parce qu’à chaque fois que je pense quelque chose, je me pense moi-même en même temps. J’ai donc une idée claire et distincte de moi-même, comme « chose qui pense » et cette idée est de l’ordre de l’évidence. Je peux donc à partir de là définir un critère de vérité qui serait celui de l’évidence claire et distincte.

Définition

Intuition : connaissance immédiate et directe de la réalité de la chose, sans passer par la raison.

B) La vérité scientifique

Par ailleurs, la présence de propositions indémontrables au sein de toute démonstration nous invite à nous interroger sur le rapport qu’entretient toute théorie scientifique avec la réalité. Loin d’être dans une relation purement descriptive, les théories scientifiques sont en réalité des modèles d’explication du réel, d’où le terme de théorie. Cela veut dire que le but d’un modèle scientifique n’est pas essentiellement de décrire la réalité, mais d’être efficace pour prévoir les phénomènes futurs. Le fait que la vérité en sciences soit d’abord pensée en termes de validité et d’efficacité amène deux conséquences.

Définition

Théorie : ensemble de règles, de lois et de concepts visant à proposer une description et une explication d’un ensemble de faits.

La première est qu’une théorie scientifique est considérée comme vraie tant qu’elle est valide, jusqu’à preuve du contraire. Le philosophe des sciences Karl Popper (1902-1994), dans Conjectures et réfutations, explique que c’est même à cela qu’on reconnaît une théorie scientifique : une théorie ne peut être considérée comme scientifique que si elle est falsifiable, c’est-à-dire que rien n’empêche qu’elle soit un jour mise en défaut. Ce critère de la falsifiabilité distingue ainsi une théorie scientifique d’un système de croyances dogmatique, c’est-à-dire n’acceptant pas la contradiction et affirmant une vérité considérée comme absolue de manière péremptoire (par exemple, le marxisme et la psychanalyse).

La deuxième conséquence est que, malgré ce que l’on pense habituellement, il faut en réalité beaucoup de contre-exemples pour qu’un modèle d’explication du monde soit considéré comme faux. Ainsi, Alexandre Koyré (1892-1944) explique dans les Études d’histoire de la pensée scientifique que le progrès scientifique s’est fait par des réfutations successives de théories, et donc sur un temps assez long. Ces théories forment un paradigme, c’est-à-dire un modèle cohérent d’explication du monde. Au début, on réfute des théories qui ne sont pas au centre du paradigme, elles n’entraînent donc pas la remise en question de celui-ci. Puis, au fur et à mesure des réfutations, le paradigme n’est plus cohérent : il ne marche plus pour expliquer le réel, il faut donc en changer. Ce moment où on change de paradigme constitue ce que Koyré appelle une « révolution scientifique », par exemple, la révolution copernicienne.