L’art a-t-il une utilité ?

icône de pdf
Signaler

L’art est-il gratuit et désintéressé ou n’est-il qu’un moyen d’exprimer un message religieux, politique, etc. ? Tenter de répondre à cette question suppose d’interroger le statut social et historique de l’art.

I) L’art exprime un message

Les peintures des grottes de Lascaux avaient le pouvoir magique de favoriser la chasse. Les temples grecs ou les cathédrales gothiques devaient glorifier les dieux et soutenir la foi des croyants. Longtemps, l’art a eu une fonction ésotérique ou religieuse.

Il a pu être utilisé également comme un moyen efficace au service d’un message politique. La publicité, quant à elle, soumet l’art à une utilité commerciale et véhicule un modèle de société consumériste.

Cependant, vouloir faire de l’art une expression revient à en faire un langage à interpréter, renvoyant à une vérité rendue à travers des symboles. C’est réduire l’art à un moyen au lieu d’en faire une activité ayant sa fin en soi.

II) L’art est désintéressé

1 ) L’art n’a pas d’utilité

Pour Kant, l’art et le beau doivent être désintéressés. Le beau doit être distingué de l’utile. On doit ainsi distinguer « beauté libre » et « beauté adhérente » : admirer une voiture de course pour sa belle ligne, c’est goûter à la beauté libre par un jugement de goût ; l’admirer parce qu’elle va vite, c’est admirer sa beauté adhérente par un jugement d’utilité.

Le beau doit être aussi distingué de l’agréable. Le beau procure un plaisir formel (la présentation esthétique d’un plat), l’agréable apporte un plaisir matériel (l’odeur appétissante du même plat).

Le beau doit être également distingué du vrai, puisqu’il est affaire de goût, et qu’il n’y a là ni preuve, ni connaissance objective (l’art n’est pas une science au sens classique du terme).

2) L’art nous détache des choses matérielles

Enfin, pour Kant, le beau doit être distingué du bon : l’art n’est ni moral, ni immoral. Vouloir censurer Les fleurs du mal ou Madame Bovary, c’est mépriser cette indépendance et cette liberté formelle de l’art.

Néanmoins, son caractère désintéressé en fait une introduction à la morale, en nous exerçant à nous détacher des intérêts matériels.

3)  Le beau et le sublime

Si le beau nous fait goûter une forme finie et harmonieuse, le sublime nous expose à un phénomène monstrueux qui suscite en nous effroi et admiration (la mer déchaînée, la haute montagne). Le sublime est, selon Kant, l’expérience esthétique qui introduit au sentiment religieux de ce qui nous dépasse.

III) Expression de quelque chose ou « perception brute » ?

Pourtant, l’histoire de l’art conduit à relativiser cette conception, qui fait de l’art gratuit une forme moderne du sacré. Pour Hegel, l’art – à travers son histoire – exprime l’esprit d’un peuple ; pour Marx, il représente des intérêts de classe. Pour Freud, il est l’expression de l’inconscient, des désirs refoulés et sublimés.

Mot-clé

Selon la psychanalyse de Freud, la sublimation est l’expression de pulsions coupables sous des formes socialement valorisées. C’est ce que fait l’art, mais aussi le sport, la science ou la politique.

Cette interprétation de l’art comme expression est rejetée par Bergson et Merleau-Ponty, qui réaffirment la gratuité de l’art : l’art doit être « perception brute » et pure présence au monde, dégagée de considérations utilitaires.